Le dernier tweet
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Donald Trump et Kim Jong-un sont parvenus à rendre comique ce qui devrait être le comble de la tragédie humaine :
la fin du monde décidée sur un coup de tête
Les grands événements, disait Marx, se répètent toujours deux fois, «la première fois comme tragédie, la deuxième comme farce». Il pensait à Napoléon III, lequel voulait réconcilier les Français avec l’épopée impériale, mais passait le plus clair de son temps à l’Opéra-Comique. Alors que la tragédie de l’oncle menait aux portes de Moscou, la farce du neveu s’acheva à Sedan où il fut fait prisonnier au bout de quelques heures de combats.
Le jugement ironique de Marx semble convenir à merveille à ce qui se joue en ce moment autour de l’arme atomique. Depuis l’accident de Tchernobyl et la fin de la guerre froide, c’est le nucléaire civil qui suscitait l’effroi. Jusqu’à récemment, les risques militaires liés à cette énergie étaient passés au second plan, comme s’il était convenu qu’aucun dirigeant n’aurait le cran ou la folie de brandir une telle menace à la face du monde. On pouvait donc s’attendre à ce que le retour de l’arme nucléaire au cœur de l’actualité se fît avec un minimum de sérieux. La bombe H associe les horreurs de la guerre et les fantasmes d’Apocalypse. Sa simple évocation devrait, en principe, ramener les sociétés les plus insouciantes à la conscience de leur fragilité.
C’était sans compter sur le duo improbable formé par Kim Jong-un et Donald Trump. A force d’invectives burlesques, ces deux-là sont parvenus à rendre comique ce qui devrait être le comble de la tragédie humaine : la fin du monde décidée sur un coup de tête. Le dictateur nord-coréen dénonce «l’attitude mentalement dérangée» du président des Etats-Unis, lequel n’est pas en reste pour couvrir d’injures celui qu’il n’appelle déjà plus que «Rocket Man». Le conflit tient le monde en haleine, certes, mais davantage dans l’attente du prochain bon mot que dans l’angoisse d’une catastrophe aux dimensions telluriques.
Les contempteurs les plus acérés de la société du spectacle n’auraient sans doute pas imaginé une situation où l’hypothèse du pire est présentée sur une forme aussi dérisoire. Le système totalitaire à l’œuvre en Corée du Nord a déjà quelque chose de tragi-comique. On sait que le pays a été frappé par une famine effroyable il y a quelques années et qu’il regorge de camps de concentration où règne une cruauté sans limite. Mais, faute d’images, nous en sommes réduits à regarder ce que le régime montre de lui-même : des défilés absurdes à la gloire du «grand leader» et des centres commerciaux presque toujours vides censés illustrer le paradis sur Terre. Que la fin du monde puisse être occasionnée par un Etat de cette nature est difficile à imaginer. La disparition de l’humanité mériterait tout de même un requiem. Kim Jong-un lui promet au mieux une musique de karaoké.
On attendrait du protagoniste américain qu’il ramène un peu de raison dans toute cette affaire. Mais la société du spectacle enjambe allègrement la barrière entre démocratie et dictature. Donald Trump, dont les hôtels de luxe ressemblent à s’y méprendre aux parcs d’attraction nord-coréens, a choisi un support singulier pour entretenir le monde de son destin : Twitter. Ses saillies en 140 signes renouvelaient déjà la diplomatie internationale dans un sens inattendu. Depuis qu’il s’agit de déclencher «le feu et la fureur» sur un Etat qui détient l’arme atomique, elles prennent un caractère proprement surréaliste.
L’Apocalypse n’est vraiment plus ce qu’elle était. Moment du Jugement dernier, elle devait ramener les hommes à une sobriété propice à l’examen de conscience. Mais au rythme où vont les choses, la seule question qui se pose est la suivante : comment Trump va-t-il tweeter au monde que le moment de sa fin est proche ? On peut douter que, parmi tous les émoticônes disponibles, il y en ait un seul qui soit à la hauteur de l’événement. Dans son dernier tweet, Trump hésitera peut-être entre un visage empourpré par la rage et un grand sourire manifestant sa victoire finale.
C’est ici que la phrase de Marx trouve sa limite. Que les événements se répètent comme comédie n’était pas si grave dans un monde qui ignorait la menace nucléaire. C’était même la preuve que les choses sérieuses (pour Marx : la révolution) étaient encore à venir. A la place de ce sérieux, le spectacle contemporain ne promet plus qu’un tweet apocalyptique qui, dans le meilleur des cas, sera un peu plus original que ceux qui le précèdent. Twitter vient heureusement de faciliter la tâche aux amateurs de bonnes formules. Ils disposeront sous peu de 280 caractères pour annoncer la fin du monde.
Cette chronique est assurée en alternance par Sandra Laugier, Michaël Fœssel, Sabine Prokhoris et Frédéric Worms.
Michaël Foessel Professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique.
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